/ KARATE

5. La force interne

D’un aspect extérieur, le karaté peut sembler requérir de la force physique brute, sans réflexion ni autre, pour être efficace et puissant.

Il s’agit là de la dimension martiale “externe”, appelée Tora (signifiant tigre), symbole de la lumière et du réel. C’est l’enveloppe, le contenant de l’art martial. Mais on peut dire qu’il s’agit de la partie émergée de l’iceberg, car ceci est partiellement incomplet. Après plusieurs années de pratique et les fondamentaux acquis, il est possible d’accéder à une autre forme de développement de la puissance, donnant une efficacité complète au mouvement, et nécessitant l’implication de l’ensemble du corps en un instant précis, sur un point cible déterminé. Il s’agit de la force “interne”, appelée Ryu (signifiant dragon, symbole de l’obscurité et de l’invisible. C’est le contenu, ce qui “remplit” le mouvement, une technique de l’art martial.

Le but pour obtenir une efficacité puissante et impressionnante, est de réussir à réunir ces deux forces, externe et interne, semblable au Ying et au Yang, et donc de réussir à avoir une pratique martiale optimisée, cohérente et saine pour le corps et l’esprit. Il serait dit que la véritable force martiale, la force “interne” subsisterait au fil des années. Il n’en est rien concernant la force purement physique, la force “externe”, qui se dégrade et s’amenuise peu à peu.

Idéogramme de l'énergie Idéogramme de l’énergie

On peut caractériser la force interne par des contractions musculaires qui vont déplacer ou fixer les segments osseux. Sachant que l’ensemble des déplacements et mouvements humains sont dus à une succession de rotations des segments osseux les uns par rapport aux autres, la maîtrise de cette chaîne musculaire dynamique permet une implication de l’ensemble du corps lors d’une frappe redoutable, Idéogramme de l’énergie devenant alors la frappe interne.

Au préalable du développement de la force interne, et toujours dans la recherche d’une amélioration de l’efficacité, le pratiquant de karaté doit aussi apprendre à relâcher son corps, à être décontracté, avec à l’échauffement des mouvements fluides et amples qui deviendront plus courts et très rapides lors de leur montée en puissance. Hiroo Mochizuki, né en 1936 au Japon et 10ème dan de karaté, 8ème dan d’aïkido et de jujutsu, 7ème dan de iaido et 3ème dan de judo, est issu d’une famille de samouraïs, et son père fut élève élève de Ginchin Funakoshi. Ce spécialiste des arts martiaux japonais est le fondateur de l’art martial Yoseikan Budo, et fournit une explication intéressante de cette vision du relâchement et de la décontraction du corps. Il rapporte l’anecdote suivante : “J’ai eu une révélation en observant le chef des cow-boys dans un parc à thème. Ce chef utilisait un fouet pour lancer un couteau qui allait se planter avec beaucoup de force. La puissance était manifestement démultipliée ! J’ai alors eu l’intuition qu’il faut laisser le mouvement initial prendre de l’énergie et de la force par l’effet ondulatoire. La prise d’appui au sol du chef et son fouet génèrent de l’énergie. Si on crispe son corps, cette énergie est faible et perdue rapidement. Mais si on amplifie cette énergie de départ dans une dynamique ondulatoire à laquelle participe tout le corps, les hanches qui accélèrent le mouvement, les épaules, les poignets, à la fin du mouvement on a la puissance d’un tsunami.

Un raz de marée, c’est un mur d’eau qui se déplace sur des kilomètres à cause d’une énergie de départ, un tremblement de terre ou une explosion sous-marine, et parce que l’eau est un très bon vecteur d’énergie. Elle pousse l’onde de choc et la transmet sans la freiner. Dans une vague, c’est l’énergie qui avance, pas l’eau, qui ne fait que prendre la forme de l’onde. Quand on obtient cette plasticité, cette souplesse, à l’arrivée l’énergie de départ est non seulement intacte, mais encore amplifiée par les accélérations réussies par le vecteur d’énergie : le corps. Il est important que le corps soit relâché pour ne pas freiner l’énergie, mais il doit être puissant et stable pour la générer et l’amplifier. Il faut une connaissance musculaire suffisante pour réussir ce travail d’onde. L’impact à l’arrivée est particulièrement puissant.”. Il faut donc être relâché au niveau musculaire, contrairement à ce que l’on pourrait penser, et ce travail peut s’effectuer à tout âge.

Mais ensuite, comment accéder à cette force dite interne ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord s’attarder sur trois principaux éléments :

  • Respecter son corps (éliminer les tensions inutiles et donc travailler en relâchement)
  • Apprendre la connexion corporelle (développer une coordination de haut niveau)
  • Gagner en efficacité (développer la force élastique des tendons, se déplacer plus rapidement, faire exploser la force…)

Il s’agit d’un travail long et complexe, pouvant s’étaler sur des années, de la recherche d’informations et d’explication sur le fonctionnement du corps, à l’entraînement, le ressenti et à la maîtrise des mouvements de son corps.

Pour permettre une approche et un travail en vue de développer sa force interne, il existe différentes voies. L’une d’entre elles est facile d’accès, redoutablement efficace, mais complexe à maitriser. Il s’agit de la méthode du I-Chuan (parfois Yi-Chuan, Yi signifiant intention), créée par le maitre Wang Xiang Zhai. Elle est issue des arts martiaux chinois, et s’appuie sur des études et recherches qui avaient démarré en Chine il y plus de 2 700 ans. Le I-Chuan permet d’activer les différentes chaînes de muscles selon des angles variés, seulement par la pensée. Par exemple, il faut “imaginer” porter un gros bloc de pierre, et en réussissant à créer cette situation mentalement, il sera alors possible d’activer la série de muscles correspondants. Si on imagine un changement de position, alors la tension des muscles du corps se modifiera en réponse à ce changement. Mais il ne s’agit pas seulement d’imaginer, mais de former les tensions effectives correspondant à la situation imaginée. Ainsi les muscles du corps seront concrètement activés, par l’intention. De ce fait, sans utiliser un objet, la méthode I-Chuan vise à former le corps dont l’ensemble paraît s’être vêtu d’un seul bloc musculaire. Cette situation fait alors penser à l’état le plus développé des chaînes musculaires.

Zhan Zhuang, la Posture de l’Arbre Zhan Zhuang, la Posture de l’Arbre

Un exemple concret du I-Chuan est le travail de la Posture de l’Arbre, appelée Zhan Zhuang. Cette posture, aussi pratiquée en Chi Konq (parfois Qi Qonq, gymnastique traditionnelle chinoise et science de la respiration), est parfois utilisée dans le traitement de certaines maladies et est l’ axe de développement “santé” du I-Chuan. Ce travail, simple en apparence, est complexe à réaliser correctement par sa dimension invisible et interne. Il permet de ressentir les différents liens entre les tendons et les muscles. C’est le travail de base pour le développement de l’énergie interne.

La force interne permet donc une pratique avancée du karaté, qui peut s’accomplir même après un certain âge, là où le karaté classique et plus particulièrement la compétition aurait plus de difficultés à être réalisés.


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Sources :

  • Blanc Alexandre, Naidokan – Karaté do Shotokaï. (3/01/2018)
  • Mochizuki Hiroo, “Echapper au conditionnement”. Officiel Karaté Magazine, n°68, décembre 2014, p. 44-48
  • Nian Yu Yong, I-Chuan Les bases scientifiques. Charles Antoni L’originel. 1999. 177 pages. ISBN 2910677281
  • Jovis Daniel, Force. (3/01/2018)
  • Tokitsu Kenji, “Les chaines musculaires dynamiques”. Dragon Magazine, n°13, juillet-aout 2014, p. 10-12

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Arnaud Favier

Entrepreneur, cofounder & CTO at Flambo, PhD in computer science and software engineer

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